Décès de Jérôme Carlos : Hommage de Florent Couao-Zotti

Décès de Jérôme Carlos : Hommage de Florent Couao-Zotti

L’écrivain discret, le journaliste expressif et l’esthète des mots

Chaque fois que je le fréquentais dans sa magnifique demeure de Nandjo, il avait un immense plaisir à me recevoir. Comme chez tous les intellectuels, il avait tendance à réinventer la société, à recréer le monde en s’appuyant sur son concept décliné en philosophie, la « pensée positive » . Optimiste entêté, ne trouvant en l’homme que des valeurs positives dont il faut promouvoir les principes, il affirmait, avec une foi presque religieuse, qu’il s’agit d’arracher de notre esprit les éléments toxiques qui nuisent à la cohésion du groupe et à l’évolution de la société.

Un jour qu’il avait beaucoup plus de temps à me consacrer, il s’était lancé dans un récit incroyable qui détaillait les circonstances dans lesquelles il s’était enfui du Bénin avec son complice de l’époque, le professeur Noureini Tidjani-Serpos. C’était en 1975. Révolutionnaires et contestataires, les deux ne retenaient pas leurs critiques à l’endroit du PRPB qui dirigeait l’état. L’un, était rédacteur en chef à Ehuzu, le « journal du militantisme révolutionnaire » et l’autre, professeur à la faculté des lettres. Leurs infidélités au régime se savaient à travers les confidences que l’un faisait dans sa rédaction et l’autre à travers ses cours. Informés de ce qu’ils étaient identifiés comme des « réactionnaires à la solde des chiens couchant de l’impérialisme », ils apprirent que leurs arrestations étaient programmées et imminentes. La nuit là-même, ils prirent la route du Nigéria sans aucun bagage, n’ayant que le « taxi kanan » et autres véhicules de fortune empruntés à la hâte. Ils traversèrent la frontière et furent accueillis par des amis qui s’inquiétaient pour leurs sécurités.

Si Noureini Tidjani Serpos était devenu professeur à l’université d’Ife, puis de Lagos, Jérôme Carlos, lui, s’était envolé à Dakar où il s’était fait tout de suite un nom dans la presse sénégalaise. Puis, au début des années 80, il fut recruté comme rédacteur en chef à Ivoire Dimanche, un magazine créé par Justin Vieyra, un autre béninois. Parallèlement, il est le speech writer de Laurent Dona Fologo, le ministre de l’information du président Houphouet Boigny.

Véritable institution en Côte d’Ivoire, ID était un journal dédié à la culture et à l’art. Jérôme Carlos y signait ses éditoriaux, y publiait des interviews des personnalités du monde de la culture. Pendant près de dix ans (1982-1990), c’était la plume de référence de la presse Ivoirienne.

Écrivain, faisant paraître des œuvres aux éditions Idilis, Ceda et Nea, Jérôme Carlos avait, tout au fond de son cœur, l’appel informulé mais très fort du pays. Comme son ami et frère Serpos revenu au bercail en 1987, il fera son retour sur sa terre natale à la faveur de la décrispation politique de 1989, celle qui a ouvert la voie à la démocratie.

Ecrivain lyrique (Les enfants de Mandela) , parfois onirique (le Miroir), Jérôme Carlos a toujours été un esthète de l’écriture, un fin gourmet de mots qu’il avait plaisir à déguster et à partager avec le public. Ses éditoriaux, devenus une école de la production intellectuelle, sont souvent repris par la presse d’ici et d’ailleurs.

Novembre dernier, en recevant le prix Ivoire dans un hôtel huppé d’Abidjan, j’avais promis à ses amis ivoiriens, journalistes, écrivains et intellectuels qui me harcelaient de questions à son sujet, que je me ferai leur porte-parole auprès de lui parce que lui et moi, avions des discussions à terminer. Mais le grand frère ne m’en a pas laissé l’occasion. Je le vois d’ici, sourire aux lèvres me disant « on a tout le temps, petit frère, je ne m’ennuie pas, tu sais ».

Paix à toi, Jérôme, merci d’avoir été là. Tout simplement.

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