Hommage à l’artiste Gbèmanwonmèdé

Hommage à l’artiste Gbèmanwonmèdé

Ainsi, Gbèmanwonmèdé s’en est allé. Vive l’artiste !

À l’état civil, il répondait au nom de Pierre Dossou Aïhoun, mais ce virtuose de la musique traditionnelle était véritablement reconnu sous son nom d’artiste : Gbèmanwonmèdé. Le chanteur sest éteint le 30 juin 2023, emporté par une série d’épreuves et d’épisodes sanitaires qui mirent fin aux derniers chapitres de son parcours terrestre. Il tira sa révérence à lâge de 85 ans. Originaire de Houin, un quartier périphérique de Covè, dans la vallée pittoresque d’Agonlin, il s’imposa rapidement sur la scène nationale béninoise grâce à sa participation assidue aux compétitions de musique traditionnelle d’envergure, rencontrant des fortunes diverses. Pour mentionner quelques- uns de ses hauts faits, il peut être souligné quelques éléments dillustration :

En 1997, avec son prestigieux prix de la meilleure création musicale, le Bureau Béninois des Droits dAuteurs (BUBEDRA) décerna cette année-là, deux prix : lun à la musique moderne et l’autre, à la musique traditionnelle. Dans cette édition, le chanteur remporta brillamment le prix du meilleur artiste de musique traditionnelle grâce à son 9e album, dont le titre phare était « Adan nou gbomi ». Dans cette chanson, une poignante célébration des vertus de l’amitié, le chanteur narre sa mésaventure au retour d’une visite dans la ville de Kétou. Pris à partie par les initiés de la divinité Oro et soumis au harcèlement sexuel d’une veuve sorcière, sa survie dans cette situation délicate a été possible grâce à l’intervention providentielle de connaissances influentes. Deux ans plus tard, sa contribution exceptionnelle à la musique traditionnelle fut, une fois de plus, reconnue lorsqu’il fut couronné meilleur chanteur traditionnel de l’année lors de l’édition 1999 de la Coupe Nationale du Vainqueur des Artistes du Bénin (CONAVAB). Ces distinctions attestent de la qualité et de la pertinence artistiques de Gbèmanwonmèdé, ancrant son statut en tant que figure majeure dans le paysage musical béninois.

Cependant, on se rappelle une année où, en dépit de sa performance exceptionnelle en finale, la victoire lui a été refusée. Le jury, après une longue délibération et prenant en compte divers critères, évoqua notamment que l’orchestre du chanteur avait pâti à cause de son habillement peu attrayant, jugé inapproprié pour la solennité de la compétition. En ces genres de circonstance malheureuse ou chaque fois que le chanteur trébuchait dans ses entreprises artistiques, faisant contre mauvaise fortune bon cur, il utilisait humour et autodérision pour ne point se laisser aller à des complaintes futiles. C’était aussi sa stratégie pour anticiper et esquiver les railleries de ses critiques, leur dénier le plaisir de le ridiculiser avec succès. Ses triomphes, tout comme ses revers, devenaient des sources d’inspiration pour de nouvelles créations musicales, le propulsant non seulement au sommet de son art, mais également vers la célébrité nationale.

Homme décomplexé et humble, il nest pas rare de le voir, dans les rues de son Covè natal, échanger salutations et amabilités avec ses compatriotes. En raison de son accessibilité, sa voix et son talent étaient souvent sollicités par de nombreux animateurs de radio pour composer le pré- ou post-générique de leurs émissions. La voix stridente de Gbèmanwonmèdé, entonnant « Aziza ɖɔ din ɔ è sùn sɔ », résonne encore dans les mémoires des témoins de cette époque-là. Car c’est sur cette mélodie devenue emblématique que Albert Kinhouandé prenait souvent congé de ses fidèles auditeurs à la fin de « Xovikléoun », une émission hebdomadaire de divertissement, très prisée et axée sur les faits divers, diffusée tous les samedis soirs sur les ondes de l’Office de la Radiodiffusion et Télévision du Bénin (ORTB) dans les années 80 et 90.

Exhibant une créativité et une originalité exceptionnelles, le jeune chanteur talentueux connut une ascension fulgurante en érigeant sa carrière musicale sur le socle du Lomba, un rythme musical traditionnel caractéristique de la région d’Agonlin. Bien qu’il n’en fût pas le créateur, il en

était cependant devenu le porte-étendard en lui conférant une visibilité nationale. Toute sa vie, il fit de ce rythme sa chasse gardée, comme en témoigne cette ritournelle qui vient souvent clôturer nombre de ses compositions musicales :

Coryphée : O lɔnba sohǔn un kè bo ɖɔ mi wa
J’entonne Lomba sohoun et vous invite
Chœur : Aziza zɛhwè to bo wa kpɔn mi lo
Le génie est en spectacle, peuples, venez me voir
Coryphée : Cɔkli sohǔn un kè bo ɖɔ mi wa
J’entonne Chocli sohoun et vous invite
Chœur : Aziza zɛhwè to bo wa kpɔn mi lo
Le génie est en spectacle, peuples, venez me voir
Coryphée : O lɔnba sohǔn un kè bo ɖɔ mi wa
J’entonne Lomba sohoun et vous invite
Chœur : O nu ɖe ma nɔ ba tatɔ kpo ɖe gbɛmè
Aucun règne n’est dépourvu de son souverain dans la vie :
lan lɛmɛ ɔn jawunta d’emɛxo
Parmi les animaux, c’est le lion qui trône en roi incontesté ;
Xɛ lɛmɛ zùnhɔ wɛ ɖu baba
Dans le royaume des oiseaux, l’aigle s’élève comme le plus imposant ;
Odan ayiɖowxɛdo wɛ kpacɛ ni o dan b’ɛvɔ
L’arc-en-ciel, parmi les serpents, déploie sa majesté incomparable.
To bo wa kpɔn mi lo o
Peuples de la terre, accourez donc pour me voir !

L’insinuation dans ce refrain est véritablement magistrale et perspicace : Gbèmanwonmèdé, à travers une métaphore filée habilement doublée de l’apostrophe dans le verset final, s’est autoproclamé maître incontesté du rythme Lomba. Cette supériorité, qu’il a fièrement assumée tout au long de sa carrière, le positionne aujourd’hui en tant que légende de la chanson traditionnelle béninoise.

En dehors de ses apparitions régulières sur les chaînes de radio et de télévision, qui étaient pour moi des moments d’excitation et de fierté en raison de notre origine commune et de mon vif intérêt pour le contenu accrocheur de ses chansons, j’ai également eu la chance de rencontrer le chanteur à plusieurs reprises. Je vais brièvement évoquer quelques-unes de ces rencontres, toutes aussi anecdotiques que riches en enseignements.

J’ai fait la connaissance du chanteur pour la première fois à la gare routière de Covè. À cette époque, la gare se trouvait dans une rue adjacente à l’est du marché Azogotchébou et du quartier Ahito. J’avais probablement entre 8 et 9 ans et j’étais là pour accueillir ma grand-mère, en route de Cotonou après un long séjour sanitaire. Partagé entre l’anxiété et l’impatience de la revoir enfin après son absence insupportable, je m’adonnais à mille et une distractions pour tuer le temps. Soudain, je vis le chanteur émerger de la RNIE 4, la voie nationale passant devant le marché et traversant Covè pour relier Bohicon à Zagnanado et d’autres contrées. Il marchait, tirant à ses côtés un vélo flambant neuf de marque Peugeot.

Arrivé à la gare, il s’arrêta à une bonne distance de moi. Était-il venu rencontrer un voyageur en provenance de Cotonou comme moi, ou vaquait-il tout simplement à ses affaires ? Je ne saurais le dire ! J’étais donc en présence du plus grand chanteur de Covè et l’un des meilleurs.

portailinfo

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *