Hervé Hêhomey retourne au parlement : Décision de la Cour constitutionnelle
Par décision DCC 23-168 du 11 mai 2023, la Cour constitutionnelle du Bénin a donné une suite favorable à la requête de l’ancien ministre des infrastructures et des transports, Hervé Hêhomey. Sorti du gouvernement, l’ex-ministre avait saisi le président de l’Assemblée nationale aux fins de mettre un terme à sa suppléance assurée par le député Janvier Yahouédéhou.
Décision DCC 23-168 du 11 mai 2023
La Cour constitutionnelle, Saisie d’une requête en date à Cotonou du 02 mai 2023, enregistrée à son secrétariat à la même date sous le numéro 0868/145/REC-23, par laquelle monsieur Hervé HEHOMEY, 03 BP 3574 Cotonou, forme un recours en inconstitutionnalité de la lettre n° 0232/AN/PT/SP-C du 25 avril 2023 du président de l’Assemblée nationale ;
VU la Constitution ;
VU la loi n° 2022-09 du 27 juin 2022 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle ;
VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ; Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï monsieur Sylvain Messan NOUWATIN en son rapport ;
Après en avoir délibéré, Considérant que le requérant expose que pendant qu’il était ministre, il a été élu député à l’Assemblée nationale au titre de la 9ème législature au terme des élections législatives du 08 janvier 2023 ; qu’il affirme qu’il a présenté sa lettre de démission au président de l’Assemblée nationale en vue de poursuivre sa fonction de membre de Gouvernement incompatible avec celle de député à l’Assemblée nationale ; qu’il soutient que cette lettre devrait valoir confirmation de son intention de rester au Gouvernement et lui offrir le bénéfice des dispositions de l’article 92 de la Constitution selon lequel : « Tout député nommé à une fonction publique nationale ou appelé à une mission nationale ou internationale incompatible avec l’exercice de son mandat parlementaire suspend d’office celui-ci. Sa suppléance cesse à sa demande » ; qu’à la suite du décret 2023-156 du 17 avril 2023 portant composition du Gouvernement qui constate la cessation de ses fonctions de membre du Gouvernement, qu’il a souhaité, en application de l’article 92 sus-cité, mettre un terme à sa suppléance à l’Assemblée nationale et reprendre son siège, en adressant une lettre dans ce sens au président de l’Assemblée nationale le 18 avril 2023 ; qu’il fut surpris de voir sa demande rejetée au motif qu’il a démissionné de l’Assemblée nationale et ne saurait dès lors bénéficier des dispositions de l’article 92 de la Constitution relatives à un régime de suspension du mandat de député, différent de celui de la démission ; qu’il conteste ces allégations du président de l’Assemblée nationale aux motifs qu’en aucun cas le député suppléant ne peut prendre la place d’un titulaire pendant toute la durée de la mandature et qu’aucune disposition de la Constitution ne prévoit les cas de figure de la perte définitive et d’office du mandat du député titulaire ; qu’il soutient que le président de l’Assemblée nationale a méconnu les dispositions de l’article 92 de la Constitution et demande à la Cour d’y déclarer contraire la lettre 0232/AN/PT/SP-C du 25 avril 2023 par laquelle il lui a opposé un refus de mettre un terme à sa suppléance à l’Assemblée nationale afin de lui permettre d’y siéger à nouveau ;
Considérant que le représentant du président de l’Assemblée nationale a confirmé l’argumentation de celui-ci au cours de l’audience de mise en état du 04 mai 2023 ; Vu les articles 92 de la Constitution, 149 et 166 du code électoral ; Considérant que pour s’opposer à la demande de monsieur Hervé Yves HEHOMEY qui vise à mettre fin à sa suppléance et à reprendre ses fonctions de député, le président de l’Assemblée nationale fait valoir que la lettre en date du 10 février 2023 qu’il lui a adressée pour solliciter la mise en application des dispositions de l’article 92 de la Constitution est un acte de démission alors que le bénéfice de l’article 92 par le député titulaire suppose, non pas une démission, mais une suspension de son mandat qui permet de le faire continuer par son suppléant, en précisant qu’à la différence de la suspension, qui « est une mesure essentiellement provisoire P “ et temporaire, la démission est, pour sa part, définitive et irrévocable. » ;
Considérant que cet article 92 de la Constitution traite de vacance et est complété par les articles 149 et 166 de la loi 2019-43 du 15 novembre 2019 portant code électoral ; que la lecture combinée de ces dispositions permet de distinguer entre la suppléance pour empêchement définitif et la suppléance pour empêchement provisoire, qui est celle de Tarticle 92 ;
Considérant que si d’une façon générale, la démission est une cessation de fonctions définitive et se différencie en cela de la suspension, qui eUe, est une cessation provisoire de fonctions, la démission intervenue dans le cadre de l’article 92 de la Constitution a toutefois le caractère d’une suspension ; que ce n’est en effet que par une lettre de démission, qui ne saurait faire obstacle à la mise en œuvre de cet article 92, que le député qui entend arrêter ses fonctions en raison d’une incompatibilité fait connaître son intention à la représentation nationale ;
Considérant que ni l’article 92 de la Constitution ni aucune disposition du code électoral n’organise spécialement le régime de suspension de fonctions de député ; que l’article 149 du code électoral dont l’alinéa 2 reprend les termes de l’article 92 n’est guère plus précis ; que même l’article 166 du code électoral ne renseigne sur la nature de l’acte par lequel le député « est tenu… d’établir qu’il s’est démis de ses fonctions incompatibles avec son mandat » ;
Considérant qu’il est certain que lorsque l’incompatibilité existe, peu importe le moment où elle se révèle, tout député suspend d’office son mandat parlementaire, selon les termes même de l’article 92 ; que la suspension est donc automatique ; que l’effet suspensif a précédé même l’acte qui la formalise ;
Considérant qu’en écartant une interprétation littérale de l’article 92 opposant démission et suspension mais en restant plutôt dans l’esprit dudit article, il y a fieu d’admettre que la lettre de reprise des fonctions de monsieur Hervé Yves HEHOMEY est bien de nature à entraîner l’application de cet article 92 de la Constitution ; 3 que dans le contexte de cette disposition de l’article 92, démission et suspension n’apparaissent donc pas antinomiques ; que la suspension du mandat apparait comme une conséquence de la démission et on ne saurait opposer ici les deux notions ; qu’au demeurant, cet article 92 confère lui-même un caractère provisoire à la cessation des fonctions en disposant que tout député qui se trouve en situation d’incompatibilité avec l’exercice de son mandat parlementaire suspend d’office celui-ci et que « sa suppléance cesse à sa demande » ; que le constituant n’a donc pas entendu organiser une occupation définitive du siège du député qui n’est appelé à cesser ses fonctions que provisoirement ; Considérant que de tout ce qui précède, il résulte que le refus du président de l’Assemblée nationale contenu dans sa lettre numéro 0232/AN/PT/SP-C du 25 avril 2023 viole l’article 92 de la Constitution ;
EN CONSEQUENCE,
Dit que la lettre numéro 0232/AN/PT/SP-C du 25 avril 2023 du président de l’Assemblée nationale est contraire à la Constitution. La présente décision sera notifiée à monsieur Hervé Yves HEHOMEY, à monsieur le Président de l’Assemblée nationale, à monsieur le Président de la République et publiée au Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le onze mai deux mille vingt-trois,
Messieurs Razaki AMOUDA ISSIFOU Président Sylvain M. Cécile Marie José de DRAVO ZINZINDOHOUE Membre NOUWATIN Vice-Président Madame Messieurs André KATARY Membre Fassassi MOUSTAPHA Membre Rigobert A. AZON Membre
Le Rapporteur, Sylvain M, NOUWATIN.